C’est quoi une startup ?

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C’est quoi une startup ?


Gardez l’image en tête, vous allez comprendre. Si vous êtes comme la majorité des gens, vous avez commencé à répondre à cette question par les mots : « une startup est une entreprise qui… ». Je me trompe ? J’espère que oui, cela signifie que ce qui suit sera moins traumatisant pour vous. Déconstruisons quelques idées reçues.

1. Une startup n’est pas une entreprise

Ce postulat semble tiré par les cheveux, et pourtant. Définissons le cadre, de quoi parle-t-on exactement ? Par « entreprise », nous ne faisons pas référence au cadre juridique, mais à la nature de l’organisation. Selon l’INSEE :
« est entreprise toute activité qui a pour but de produire des biens et des services destinés à être vendus sur des marchés en vue de générer des profits ».

Les manuels d’économie privilégient une approche structurelle :
« l’entreprise est présentée comme une organisation caractérisée par sa hiérarchisation et son fonctionnement comme système ».
Il est communément admis que le but d’une entreprise est de générer des profits, les produits (biens ou services) qu’elle procure sont des moyens en vue d’une fin : le profit. C’est là qu’intervient la première différence, car la raison d’être d’une startup n’est pas un le profit mais bien un problème auquel elle veut apporter une solution.

a) Une startup se bâtit autour d’un problème à résoudre

Pendant huit ans, lorsque l’on demandait à Marc Zuckerberg comment il comptait monétiser son entreprise, il répondait que le plus important était que Facebook soit un endroit cool, où les gens se sentiraient bien, libres d’interagir sans publicité. L’essentiel pour Mark et son équipe n’était pas le profit, mais bien le problème : connecter des gens du monde entier de façon à la fois intime et ouverte, c’est ce sur quoi son équipe et lui se sont concentrés, reléguant la recherche du profit à un rang inférieur dans la liste de leurs priorités.
Autre exemple : Google a mis deux ans à créer le produit qui lui rapporte le plus d’argent aujourd’hui, Google Adwords a vu le jour en 2000, bien après le moteur de recherche. La différence est là ; le moteur de recherche est la solution, alors que Google Adwords est le business model. Éclaircissons cela. Aucune entreprise ne se lance sans business model, n’est-ce pas ? Des milliers de startups se sont lancées sans business model juste dans le dernier quart des années 90, certaines continuent à le faire aujourd’hui. Cela ne signifie absolument pas qu’une startup n’a pas besoin de business model, au contraire ! Une startup est une entité bâtie dans le but d’apporter une solution à un problème, qui est à la recherche d’un business model scalable et répétable. Elle est « à sa recherche », elle ne l’a pas encore trouvé.
Tandis que le business model est le socle même de l’entreprise, son noyau, et sa raison d’être le profit réalisé au moyen d’un business model ; le noyau d’une startup consiste en la recherche du problème qu’elle résout. L’ADN d’une startup, ce qui fait son identité, est le problème qu’elle résout, et la solution particulière qu’elle apporte. Si l’on peut imaginer Facebook sans ses publicités (ça a été le cas pendant très longtemps, avant que Sheryl Sandberg ne s’en mêle), ou Google sans Google Adwords, il est impensable d’envisager l’une sans les profils, ou le fil d’actualité, et l’autre sans le moteur de recherche. Ces éléments n’apportent pourtant aucun profit. D’où le besoin du business model, car il faut bien vivre pour implémenter puis améliorer cette solution.

b) Un business model, mais pas n’importe lequel

Deux mots caractérisent le business model d’une startup : scalable, et répétable.
« A startup is an organization formed to search for a repeatable and scalable business model. » – Steve Blank
« Une start-up est une société qui explore, qui est à la recherche d’un modèle d’entreprise, d’un marché, de clients et tente d’innover. Elle cherche généralement un grand marché (« scalable/extensible ») (…). Il est donc aussi question de croissance forte et rapide car pour ces marchés émergents, la concurrence est rude et les gagnants peu nombreux. Il faut souvent aller vite. C’est aussi pourquoi c’est un état d’esprit: vous êtes curieux, dans un monde incertain, en essayant d’apporter de nouvelles choses au monde, voire de le changer.» – Hervé Lebret, Scientifique principal dans le domaine de l’esprit d’entreprise high-tech.
Dans cet excellent article, Steve Blank, le conceptualiste des startups nous explique comment une startup peut trouver son business model. Il en ressort qu’elle en change autant de fois que nécessaire, jusqu’à ce qu’elle en trouve un qui est scalable, et répétable.
Scalable : dont les coûts diminuent avec le nombre de clients.
Répétable : transposable à l’infini dans n’importe quel environnement pertinent.
Cela suppose une vocation internationale, et une croissance exponentielle, donc beaucoup de flexibilité. Si une startup peut se transformer en entreprise (lorsqu’elle trouve son business model – à l’instar de Google par exemple, devenu Alphabet pour conserver son statut), l’inverse n’est pas vrai. Je vais me garder de dire impossible bien que je ne l’aie jamais vu.
Nous avons établi qu’une startup se construit autour d’un problème à résoudre. Le problème n’a pas besoin d’avoir été soulevé auparavant (Google par exemple, ou Tesla). Il faut juste que les fondateurs y tiennent suffisamment pour le développer. C’est impossible de tenir autrement, du fait de la nature même de la structure. Le problème est le cœur de la startup, la scalabilité et la reproductibilité également constituent leur ADN même. Sans cela, elles n’existent pas. Très peu d’entreprises ont un modèle économique scalable. Moins encore sont répétables. Selon Ibuka Ndjoli, « le problème est que toutes les start-up n’arrivent pas à répéter leur business. C’est l’idéal, certes, c’est ce que toutes veulent, mais c’est tout de même gageure de le faire. Celles qui y parviennent sont rares. Et même celles-là font face à de grandes difficultés lorsqu’il s’agit de répéter leur business. Trop de facteurs changeants rendent cela difficile. Mais, dans le meilleur des cas, oui… répétable. »
La startup peut ne peut pas être vouée à l’être, mais doit pouvoir l’être. Le lieu peut être virtuel (Internet), c’est encore mieux : c’est la cible qui devient répétable. Cet aspect indépendant de l’environnement me semble appeler à l’universalité de la solution proposée. Serait-ce cela le véritable paradigme de ces structures, l’universalité ? L’idée est troublante, gardons là pour une autre fois.
« Lorsque le founder de la startup et sa team ont une véritable vision qui s’étend au-delà de leurs frontières, le business model (BM) est répétable. Il existe cependant nombre de startups, partout dans le monde, qui se cantonnent à un lieu précis, bien qu’elles aient un BM scalable. Tous les founders de start-up n’ont pas l’ambition de Zuckerberg : conquérir le monde. Pour elles, avoir un business qui marche est suffisant. » – I.N
Il y a un problème avec cette réalité (parce que c’en est une), un business model non transposable hors de son environnement natif condamne la startup à mourir. Elle devient donc une entreprise. Lorsqu’une startup qui marche refuse de s’internationaliser, son BM est copié et son marché est pris d’assaut par des concurrents, qui finissent par le rogner. C’est le sort de toute startup qui devient une entreprise : être aux prises avec une concurrence qui la force à se désintéresser de son produit pour se focaliser sur le profit. Deux destins se présentent alors à elle : mourir ou devenir une entreprise, mais c’est du pareil au même, puisque sa raison d’être n’est plus. C’est le fameux « dominer ou mourir ». Une startup non répétable est vouée à disparaître, à plus ou moins long terme.
Note : attention à ne pas confondre l’innovation et le problème. Une startup innove nécessairement, si ce n’est dans le produit, elle le fait dans les process. Une entreprise peut innover, c’est le cas des entreprises pharmaceutiques par exemple.

c) L’implémentation

 Une startup n’est pas une entreprise, ce sont deux structures différentes en nature et en implémentation. Le squelette des entreprises et leur processus de décision ne leur permettent pas de procéder aussi rapidement, ni d’être aussi flexible qu’une startup. Il suffit de comparer Paypal (startup bancaire) à la Gramen Bank (banque innovante) pour voir le monde qui les sépare. Une startup est un groupe de personnes suffisamment petit pour ne pas mettre en danger sa flexibilité, et assez grand pour réaliser la solution qu’elle doit implémenter. Elle privilégie la prise de décision rapide et l’exécution, au détriment de l’administration. La notion de risque est inhérente à son activité. Sa philosophie est « il vaut mieux faire les erreurs rapidement », et non « il vaut mieux ne pas commettre d’erreur ». Une entreprise est une structure hiérarchisée, plus encline à préserver ses acquis et à minimiser les risques. Les horaires de travail et la hiérarchie y sont sanctuarisés, les rôles de chacun clairement définis.
Une startup est un pari, une entreprise repose sur la sécurité. On ne peut faire plus éloigné.
Ce qui aide une startup à naviguer, ce n’est pas son business model, mais bien le problème qu’elle a à résoudre. Sa première préoccupation est la recherche d’une solution viable, et la meilleure possible. Parce que le produit, ou la solution se révèle souvent imparfait ou inadapté au premier jet, et qu’elle doit sans cesse itérer jusqu’à produire de la valeur difficilement ou impossible à imiter. Aucune entreprise sérieuse ne dit à ses clients : « vous devez nous payer bien sûr, mais on ne sait pas encore pourquoi, on y réfléchit. Et, au fait, nous allons sûrement modifier le produit de nombreuses fois, celui-ci est un coup d’essai. » Cela équivaudrait à un suicide. Une startup n’a aucun mal à le faire puisque le produit est sa raison d’être. Elle n’a donc aucun scrupule à le modifier autant de fois que nécessaire. Ce que la cible d’une entreprise achète, c’est son produit, ce à quoi la cible d’une startup adhère, c’est sa vision.

2. La question du cadre

a) La petite taille ne fait pas la startup

« Entreprise = business (en anglais). Créer une entreprise = build a business. Si business il y a, c’est parce que le business model existe (donc a été trouvé). Une start-up est en recherche de son business (product/market fit), qui est lié à son business model. To start-up signifie commencer pour aller plus haut. Le but d’une start-up est de trouver le product/market fit, le business model adéquat (scalable et, dans le meilleur des cas, répétable). Dès lors, une start-up n’est pas une entreprise (elle ne l’est pas encore en tout cas, au sens identité du terme).
Il ne faut pas confondre une petite entreprise ou small business, et startup. Les premières n’ont pas besoin de chercher le product/market fit, ni le business model, il existe déjà. Ex : j’achète des produits à Dubaï que je revends dans mon pays ; c’est un business, pas une start-up. Je suis une petite entreprise. Même si cela n’est pas dit au départ (et n’est même parfois pas su par les founders), une start-up vient TOUJOURS résoudre un problème. Il n’existe pas une seule start-up (une vraie) qui ne le fasse/ne le tente pas. » – I.N.

b) La question du cadre juridique

Attention à ne pas confondre cadre juridique et nature d’une organisation. La fonction est différente de la vocation, qui est elle-même différente du statut juridique, qui définit les droits et les obligations d’une organisation (exemple des think-tanks). Une startup peut par exemple prendre n’importe quel statut juridique sans que cela n’influe sur sa nature, suivant son activité. Il est important de nuancer les concepts à ce point.
C’est l’histoire de la tomate, c’est un fruit ou c’est un légume ? Pour des besoins de vulgarisation, on laisse dire l’un et l’autre pourtant, seule la première réponse est juste. Souvenez-vous, nous parlons de la nature de la startup et non de son cadre juridique. Prenons l’exemple des think-tanks ; il serait faux de dire que ce sont des associations, ce sont des laboratoires d’idée, qui peuvent se décliner sous le cadre juridique qu’elles souhaitent. De même, la plupart des startups ont le cadre juridique d’une entreprise mais ce ne sont pas des entreprises . Bayes Impact, par exemple, a le statut d’une ONG, c’est pourtant une startup.
« Si l’on part du cadre juridique, toute activité ayant un statut juridique est une entreprise. Mais ici, l’important n’est pas le statut juridique. De nombreuses start-ups ont attendu d’avoir un vrai business avant de penser au statut juridique, d’autres l’ont fait bien avant de se lancer (juste avec l’idée). Dans un entretien, Mark Zuckerberg conseille de ne pas penser à cela avant de savoir ce que l’on fait, comment on le fait et ce qu’on gagne. Les exemples des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) corroborent cela. On a une activité avant d’avoir un statut juridique. » – I.N. 
Résultat : une startup, contrairement à une entreprise, existe avec ou sans cadre juridique. N’ayant pas de business model, elle peut se passer de modèle économique un bon moment. Elle ne souscrit à un régime juridique que pour pouvoir procéder à des échanges de capitaux avec ses clients et ses employés, c’est une structure à part, vraiment fascinante.
« Dans le monde des startups, la pertinence du statut juridique ne vient que lorsqu’on a un business. Il faut savoir que de nombreuses startups meurent faute d’avoir trouvé le product/market fit, c’est-à-dire avoir un business qui marche. A ce moment, avoir un statut juridique ne vaut absolument rien, même si aux yeux de la loi et du reste du monde, cela est valorisé. » – I.N.
La caractéristique principale d’une entreprise, bien avant le statut juridique, est le business model. C’est ce qui permet à ses créateurs de dire : nous créons une entreprise. Une startup recherche un business model. Ce n’est pas une entreprise dans sa nature et elle reste longtemps une organisation sans statut juridique si elle ne nécessite aucune transaction commerciale. L’immatriculation juridique ne change rien à ce qu’elles sont, ni avant ni après. La seule chose qui les fait passer du statut de startup à celui d’entreprise est le business model scalable et répétable, le St Graal derrière lequel la startup court. Une fois obtenu, elle perd l’identité de startup, et devient une entreprise.
Être une startup est donc un ADN, une nature, et non un statut juridique.